Thibault Brunet
L’œuvre
Territoires Circonscrits, Sans Titre #11
2016
100 x 150 cm
Tirage jet d’encre sur papier Hahnemühle Fine Art Harman contrecollé sur aluminium
Edition de 5 + 2EA
Courtoisie de la Galerie Binôme, Paris
Il n’y a rien derrière le visible. Noir charbon et jaune sable sont les deux espaces chromatiques dans lesquels nous transporte Thibault Brunet avec la sérieTerritoires circonscrits. C’est un univers issu de la modélisation de paysages saisis via un scanner tridimensionnel. Avec un ingénieur et une ScanStation mis à disposition par Leica,Thibault Brunet a parcouru le littoral sur 30 kilomètres, de Calais au Cap Gris-Nez. Le scanner muni d’un laser vient mesurer tout autour de lui les distances et les volumes sur 360°. L’appareil photo inclus dans la machine ajoute dans un second temps les couleurs. Quel que soit le degré de technologie, même dans l’industrie de pointe, l’image n’est pas une copie, mais une extrapolation. Thibault Brunet en joue. Chez lui, cette transposition de nuages de points en volume ouvre sur un espace presque dessiné. Ce sont de larges zones d’aplats de couleurs et des traits fins à peine affirmés. Refusant l’artifice de la perspective, l’artiste garde une vision orthogonale qui ajoute à l’image une légère sensation d’inexactitude. Un paysage apparaît littéralement au milieu d’un grand espace vide de formes et de nuances, noir ou marron clair. C’est qu’au-delà de ce qui lui fait face et 150 mètres autour de lui, l’appareil de relevé sphérique ne voit pas, ne capte pas d’information. De même pour les volumes transparents, comme l’eau, il les ignore. L’impression ressentie lors de la prise de vue, d’être dans une maîtrise visuelle absolue de l’espace, s’effondre. Elle s’avère être un leurre, car les volumes sont vides, sans consistance. Le territoire est un décor. Sur la plage, la mer a disparu. Seule l’écume reste, assez menaçante. Pourquoi Thibault Brunet choisit cette côte d’Opale, il n’en sait rien. Il est conscient de la charge symbolique, mais ne porte pas de message intentionnel sur la situation des migrants. Il échoue sur cette plage de Sangatte et remonte jusqu’au Cap Gris-Nez, les yeux rivés sur l’Angleterre. Au passage, il capte des écluses, un blockhaus, un distributeur de pommes de terre. Autant d’images de la série qui offrent des territoires transformés. Ils surgissent de la couleur ou de l’absence de couleur qui domine l’image. Des éléments du paysage sont ainsi saisis dans cette forme ambigüe – mi-photographie, mi-dessin -, presque nondéfinie. La plage de Sangatte, pleine de baigneurs, ressemble à une mine où des personnes s’affairent. Avec cette autre image, dans les champs autour d’un conteneur, on devine à peine ces meules de foin. Elles ne sont que taches. Les cabanes de pêcheur dans leur alignement rappellent l’imagerie du Far West hollywoodien. Et pourtant, dans cette série, il n’est plus question de jeu vidéo ou même d’espace googlelien en partage. L’artiste s’est rendu sur place et a procédé à une prise de vue. Il joue avec la virtualité du réel lorsqu’il est modélisé. C’est que Thibault Brunet détourne les instruments, les outils de mesure et de représentation. Il nous en montre les limites. Il fait ressortir les points aveugles de la technologie aussi puissante soit-elle. Il en livre une nouvelle construction, onirique celle-là, presque fantastique. Ici, loin de nous, l’espace est un trou noir, car c’est l’instrument qui met en lumière les choses et les rend visibles. L’appareil de relevé et de prise de vue a beau avoir toute capacité de rotation, il ne fait que tourner sur lui-même. La machine est donc révélée dans ses limites, ce qui ouvre pourtant, grâce aux détournements et choix plastiques de Thibault Brunet, sur une autre fiction territoriale, presque irréelle. (Mireille Besnard)
L’artiste
Thibault Brunet (1982, Français) est un artiste représenté par la Galerie Binôme à Paris et Heinzer-Reszler à Lausanne. Son travail joue avec les genres codés de la photographie concernant la relation avec la virtualité dans une société où la réalité dans son ensemble est numérisée. Peu de temps après avoir été diplômé de l’École supérieure des Beaux-Arts de Nîmes, il s’est distingué à partir de 2008 par des séries remarquables basées sur des jeux vidéo. Pendant plusieurs années, Thibault a voyagé à travers des mondes virtuels avec son appareil photo à la recherche de paysages – Vice city – et visages –First person Shooter. Cette oeuvre attire l’attention de plusieurs institutions et concours : en 2012, l’artiste a été sélectionné pour le Mois de la photo à Paris, Berlin et Vienne et a été parmi les finalistes du Prix de l’Aperture Foundation 2012 à New York et de The Talents FOAM 2013 à Amsterdam. Son oeuvre est également présente dans des collections prestigieuses telles que la Bibliothèque nationale de France (BNF) et le Musée de l’Élysée. En 2014, Thibault a participé à un projet collectif, France (s) Territoires Liquides. Avec sa « Typologie du Virtuel« , il a sélectionné dans Google Earth des bâtiments co-produits par des individus anonymes, qui mettaient ainsi en lumière le désir de laisser une trace dans le monde numérique. Les images ont été exposées au musée Tri postal en juin 2015 et la Biennale de Lyon en septembre 2015. Thibault a privilégié une nouvelle approche pour la PMU Carte Blanche 2014 au BAL et a travaillé sur la digitalisation du monde réel en utilisant un balayage 3D. Depuis lors, ce projet est en cours avec le partenariat technologique de Leica pour la série « Territoires circonscrits » et a été exposé pour la première fois en novembre 2015 à la Galerie Binôme. Parallèlement, Thibault travaille à la publication de deux livres de photographie : Typologie du virtuel sera publié en octobre 2016 (Éd. La Pionnière) et Inexplorations courant 2017.