SHAUN GLADWELL
L’œuvre
Skateboarders v’s Minimalism
2015
Vidéo HD
Ed. 3/3
Courtesy de l’artiste & Analix Forever
Dans Skateboarders v’s Minimalism, Shaun Gladwell reconfirme son idée que le seul art valable est celui qui implique le corps, et intensément. Au-delà de sa dimension spectaculaire, le sport est un exercice qui vise à la fois la santé et la transcendence. Il faut qu’on fasse travailler notre corps-machine à pleine capacité afin d’exploiter son plein potentiel, de le rendre à l’aise avec sa propre nature. C’est précisément ce qui se passe dans cette nouvelle vidéo avec Rodney Mullen, Hillary Thompson et Jesus Esteban, trois des meilleurs skateboarders professionnels au monde. Mais cette fois, le contexte est singulier, inattendu et non conventionnel. Cette fois, le skate n’a lieu ni devant l’océan rugissante, ni sur la côte ouest pacifique des Etats-Unis, ni sur les pentes ondulantes d’un parc de skate—elle a lieu dans un musée. Comme dit Gladwell, pour les skateboarders, « les rues sont nos musées ». On est tenté de dire que c’est l’élément humain qui l’emporte dans ce combat entre le corps et l’objet, comme c’est finalement le geste qui attire l’œil. Selon Paul Ardenne, « le spectateur, en regardant les gestes des skateboarders, s’incarne en eux, ressent leur effort, leur joie, leur douleur, et quelquefois, leur exultation. » Ainsi le match entre geste et sculpture semble être prédéterminé depuis le début.
Mais Gladwell fait exprès de laisser ouvert à interprétation le vainqueur de ce conflit. En mettant en confrontation directe la culture du musée avec la culture des sports extrêmes, il nous invite à déclarer un gagnant incontesté,ou même de tomber dans le piège de rejeter la comparaison comme étant absurde ou irrespectueuse. Mais pour Gladwell, il n’y a pas de différence inhérente entre le geste et la sculpture : ils font tous deux partie de la même force créative. « La création ne vient pas sans destruction. Les sculpteurs créent, et peut-être détruisent les normes et les traditions de ceux qui les précédaient, pendant que les skateboarders créent, et en ce faisant doivent détruire la sculpture, leur skateboard, leur propre corps. » Le conflit superficiel dans Skateboarders v’s Minimalism révèle quelque chose de plus profond, de plus essentiel dans la nature humaine : la force créative et destructrice fondamentale qui est à la base de toute expression artistique.
L’artiste
Shaun Gladwell est un artiste qui aborde le corps et le mouvement, et dont l’œuvre incarne le geste suprême, comme le souligne Carolyn Christov-Bakargiev dans son analyse. Selon Simon Rees, Gladwell aborde aussi la mémoire du corps. C’est un corps « absolut » qu’il aime pousser et manifester à l’extrême limite entre la vie et la mort. Dans le titre d’un de ses premiers vidéos, Riding with Death (Redux) 1999-2011, et dans sa vidéo célébrée Apologies 1-6, 2007-2009, le corps au bord du gouffre fait son apparence. La traversée routière de l’Australie devient soudain, dans les yeux de son public, l’équivalent de la traversée du Styx. Gladwell, archétype du poète du corps, utilise des leitmotifs tels qu’un corps en suspension, parfois les bras croisés, entre la vie et la mort. Le corps apparaît dans différentes incarnations : corps machine, corps biker, corps virtuose, corps arme. Chacune de ces variations, identifiées par Paul Ardenne dans son essai sur les poétiques du corps, forme une création performative sans fin, que Gladwell mène parfois jusqu’à la perte de conscience. Cependant, Gladwell ne perd jamais le contrôle. La perte de conscience est presque décrétée, toujours soigneusement évaluée, calibrée, contrôlée et maîtrisée. Même au-delà du mouvement, Gladwell, en tant qu’artiste, se préoccupe avant tout de la maîtrise : à travers la maîtrise du corps, il cherche à atteindre la maîtrise du temps. À cette fin, le ralenti est un élément essentiel de son œuvre. Gladwell se sert de techniques comme le ralenti et de longs panoramiques afin de capturer des performances, rigoureusement chorégraphiées et improvisées, par des break dancers, skateboarders et cyclistes BMX dans un mélange de lieux ruraux et urbains en Australie, au Japon, au Brésil, en France et en Afghanistan. Ses « paysages performatifs » qui en résultent sont à la fois rythmiques et poétiques, qui déforment la vitesse, la gravité, l’espace et le temps en explorant des paradoxes visuels et spatiaux. En 2009, Shaun Gladwell a représenté l’Australie à la biennale de Venise et a été envoyé en Afghanistan en tant qu’Artiste Officiel de Guerre Australien. Gladwell a participé à des expositions internationales, notamment à la Royal Academy of Arts (Londres), Orange County Museum of Art (Californie), KUAD Gallery (Istanbul), Palais de Tokyo (Paris), et au Musée de Lyon (France). Ses œuvres font partie des collections publiques de l’Art Gallery de New South Wales (Sydney), Museum of Contemporary Art (Sydney), Museum of Contemporary Art (Tokyo), Museum of Fine Arts Houston (Texas), Orange County Museum of Art (Californie), Progressive Art Collection (Pennsylvanie), SCHUNCK (Heerlen), VideoBrasil (Brésil), Wadsworth Atheneum (Connecticut), etc.